Caisa Sandgren
Balthazar Ausset
Du 30 janvier au 27 février 2021
Espace / galerie marie-robin
18 rue de Montmorency 75003 Paris
Affinité, attirance, analogie.
Le mot affinité – dans toutes ses nuances – évoque une relation naturelle ou convenable entre les êtres et les choses.
En chimie, l’affinité mesure la capacité de cohésion et de réaction provoquée par la rencontre de différentes substances. En géométrie, l’affinité est une correspondance biunivoque du plan qui permet la transla- tion d’une figure tout en préservant des parentes avec sa matrice. Enfin, en sociologie, l’affinité désigne les corrélations parmi les individus ayant des intérêts, des idées et des idéaux communs.
Rapports d’attraction et d’influences réciproques consentent à chaque entité de consister au-delà d’elle- même en pouvant – à tout moment – retrouver sa singularité.
L’exposition Spatial affinit·ies vise à traverser les affinités propres à l’expérience humaine à l’égard de l’espace et des objets qui ponctuent nos existences. Il s’agit de relire nos rituels quotidiens, de flâner sur nos gestes et sur nos intentions, d’interpréter nos perceptions.
Caisa Sandgren et Balthazar Ausset, investissent la galerie marie-robin telle qu’une plateforme hybride.Ar- chitectures, objets, contenants et contenus – grâce à leurs infinies relations – génèrent une scène d’intérieure mouvante au gré de facteurs objectifs (lumière, saisons, sons) et subjectifs (états d’âmes, gestes, souvenirs).
Chaque œuvre nous invite ainsi à déambuler librement et à nous interroger sur la nature même des impres- sions des espaces vécus. Quelles traces du réel s’inscrivent dans nos mémoires ? Quelles autres sont – au contraire – destinées à une rapide disparition ?
Ces questionnements nouent les propositions des artistes.
Caisa Sandgren franchit la limite entre l’être et la chose par la représentation de ses lieux personnels et de leurs objets chargés d’histoires, de présences ou d’absences. Pourtant, dans la dernière série de dessins Solkatt 1, le souvenir – matière première de figuration – devient aussi indice à percevoir, reconnaître, saisir jusqu’à la formulation d’une image autre.
Pour le projet, Spatial affinit·ies , l’artiste poursuit ces recherches en présentant une Constellation de sculptures linéaires en métal. La ligne dessine et transforme l’espace blanc de la galerie en espace abstrait : un meta-espace à pénétrer. Parallèlement, chaque pièce dégage ombres et profils inaperçus, plus ou moins in- tenses selon la luminosité du moment. Seulement, en détournant nos perspectives, en diversifiant nos points de vue, la chose révèle toutes ses colorations intimes.
La constellation des traits stylisés est alors reconnue comme une constellation d’objets communs à toute habitation, plus précisément à tout salon : canapé, fauteuil, lampe, table basse.
Ces sculptures interactives composent un tracé « virtuel », elles éclairent et éclaircissent notre perception vers un niveau de reconnaissance plus profonde, où le souvenir se fait actuel.
L’artiste touche tous les degrés d’identification de l’objet analysé par Bergson dans l’Histoire des théories de la mémoire. 2 D’une première reconnaissance « automatique » (la tige en métal), à une reconnaissance schéma- tique jusqu’à la révélation de la chose en tant que « prolongement de notre personne, de notre expérience.» Comme Caisa explique « c’est ainsi que le canapé dans le salon de ma mémoire devient image d’un canapé que l’observateur pourrait reconnaître en tant qu’objet jusqu’à en découvrir une partie de son histoire personnelle ».
Parcourant les affinités du salon imaginaire, les projections de Caisa Sandgren croisent l’Impression rétinienne de Balthazar Ausset.
Ausset explore et expose le monde environnant en tant qu’artiste et individu à travers la mise en abyme de ses propres codes. Il recueille les repères du réel au fil des perceptions, de l’empreinte du soleil aux morceaux des objets éparpillés tout autour. Photographie, sculpture, installation, sont les langages utilisés dans la transposition du sens à une forme jamais figée.
Face au concept Spatial affinit·ies, l’artiste déploie ces questionnements en réalisant une nouvelle série de sculptures mouvantes. Les œuvres agencées ou dispersées occupent l’espace d’exposition sur différents niveaux, du sol au mur, en brouillant les limites structurelles et fonctionnelles de la galerie. Ces silhouettes abstraites constituent des «séquences modulables, dans lesquelles le regard oscille aléatoirement entre répétition et désordre».
La série est issue de l’observation du quotidien en puisant son inspiration sur une matière à la fois surface et volume : l’emballage cartonné. L’emballage – avec ses différentes tailles, chiffres et références – trace les flux de consommation et fruition ordinaires, en tant que vecteur d’articles hétérogènes. Il est indice de nos habitudes, de leur temporalité et localisation. Cependant, avant toute révélation, l’objet renvoi encore une à une dimension imaginaire, de ce fait il recèle son dedans.
Balthazar Ausset utilise le carton-surface comme matrice dans la réalisation de ses formes en bois contre- plaqué, tandis que le carton-volume est le point de départ des images photographiques imprimées sur chaque support, des trames révélatrices du passage du contenant au contenu.
Balthazar Ausset, Écailles, impressions contrecollées sur bois contreplaqué 90 x 85 cm, 2021
Balthazar Ausset, Banane, impressions contrecollées sur bois contreplaqué, 47 x 142 cm, 2021
De l’objet à son apparition, l’artiste ouvre les emballages empilés dans le salon imaginé. Néanmoins, l’exalta- tion du détail, le détournement de l’échelle, la superposition de grains opéré par l’impression photographique font de chaque pièce un fragment du réel à défaire encore une fois.
Une profusion de figures et consistances défilera alors sous nos yeux du papier, au tissu à l’écaille, de l’orga- nique au mécanique, du végétal à l’animal. Éléments enveloppants et à leur tour enveloppés. En s’attardant sur la texture de l’œuvre, en explorant ses multiples peaux, en déballant la dernière couche, l’observateur pourra enfin reconnaître la nature des choses qui rythment nos vies.
Spatial affinit·ies dénoue la pluralité de rapports via lesquels la chose – sujet, objet, contenant – existe au-de- là du sensible et de ses propres limites. Les œuvres de Caisa Sandgren et Balthazar Ausset se situent aux bords de ces limites. Elles cohabitent dans l’espace-galerie en donnant corps à d’autres tangibles. Des pro- positions affines encore plus intéressantes lorsqu’elles déterminent d’autres superpositions, d’autres sépa- rations jusqu’à révéler « l’infiniment plus que nous ne pouvons voir ».
Caisa Sandgren, Constellation / Fenêtres, 2021 – 2019
Balthazar Ausset, Série Impression rétinienne, 2021
Il s’agit, comme Sartre l’a écrit dans l’Imaginaire, d’apprendre les objets en tant que synthèse de toutes ces apparitions, de les observer, de faire le tour, d’attendre, que le « sucre fonde ».3
— Anna DONÀ
1. Le mot suédois solkatt signifie littéralement : « chat de lumière ». Il identifie le reflet de la lumière qui traverse et rebondit sur certains matériaux, comme les cristaux d’un lustre.
2. H.Bergson, Histoire des théories de la mémoire, (1904), ed.Puf, 2018, p.115-120
3. J-P Sartre, L’ imaginaire, (1940), ed.Gallimard, pp.23-24
Série Cyanotypes (triptyque), 107 x 77 cm (chaque), 2020
On doit apprendre les objets, c’est-à-dire multiplier sur eux les points de vue possibles. L’objet lui-même est la synthèse de toutes ces apparitions. La perception d’un objet est donc un phénomène à une infinité de faces. Qu’est-ce que cela signifie pour nous ? La nécessité de faire le tour des objets d’attendre, comme dit Bergson que le «sucre fonde»
J-P Sartre, L’ imaginaire, (1940)