Balthazar Ausset est diplômé aux Beaux-Arts de Paris en 2020, il vit et travaille à Paris.

Le questionnement est au centre d’une pratique mouvante à travers laquelle Balthazar Ausset explore son environnement en tant qu’artiste et individu. Photographie, sculpture, installation, sont les langages utilisés pour donner corps à l’idée, dans la transposition du sens à une forme jamais figée. 

L’écosystème de l’artiste est analysé par la mise en abîme de ses propres codes en parcourant l’espace de l’atelier et de l’exposition, le temps de la création et de la réalisation, le geste de l’échec à l’objet-oeuvre d’art, synthèse de toute intentionnalité.

D’un bout à l’autre, du dessus au dessous, le travail de Balthazar Ausset touche inévitablement la sphère de l’individu. Car, l’artiste (re)cueille les indices du tangible, les repères qui définissent nos espaces personnels au fil des perceptions ou des habitudes. Il en expose encore une fois les codes grâce à l’exaltation du détail, le détournement de l’échelle, l’union et l’altérité de l’organique au mécanique.

Textures et formes, contentant et contenus, se superposent alors en boucle, dans la matérialisation d’une temporalité fluide. Fragments d’un réel à déplacer et moduler jusqu’à en révéler les affinités (in)visibles.

Ecosystème, impressions contrecollées, dibond, aluminium, plante, ventilateur
160 x 100 x 2 cm, 2020

AD. Quelle est la genèse de ta pratique, l’élément « déclencheur » de ta recherche ? 

BA. Je ne parlerais pas de moment déclencheur mais plutôt d’une succession d’échecs et de succès, des expériences sur différents médiums, de mises en question. Un langage en évolution à travers lequel j’essaie d’affiner ma technique pour cerner ce que je veux communiquer, ce qui m’intéresse vraiment dans la pratique de l’art.

Le questionnement définit ma démarche. C’est-à-dire, m’interroger directement sur l’art en tant que langage qui émane du sens à travers des formes et des couleurs, sur son fonctionnement, sur nos perceptions.

Dans les premières années, je touchais à différents supports sans développer forcément de telles interrogations. D’une expérience à l’autre, j’ai voulu poursuivre mes recherches au sein des Beaux-Arts de Paris en passant d’une pratique encore décousue à un panel de propositions nouées.

Aujourd’hui, je considère cette pratique – en elle-même – comme le sujet de mon travail. Un travail mouvant qui me positionne toujours dans la genèse de quelque chose en train de se produire. Je trouve cet aspect passionnant car rien n’est jamais abouti et rien ne peut se fixer. Dans ce processus j’essaie de trouver ma formule au travers de ma sensibilité.

Tu travailles sur la superposition et l’assemblage des espaces, des objets, des gestes.

Du plan individuel ta recherche explore et expose le plan de l’artiste, en mettant en relation l’espace/temps personnel avec l’espace/temps « sacré » de la création et de l’exposition jusqu’à interroger le statut même de l’objet/œuvre d’art.

Où se situe et existe-t-il vraiment une limite entre espace individuel, espace de la création et surface d’exposition ? 

A priori, dans la tradition de l’art contemporain, l’espace de production et l’espace d’exposition sont des white cubes, des plans interchangeables. On pourrait penser travailler aussi bien dans l’un et dans l’autre mais également partout ailleurs.

Une affinité évidente sur le plan structurale. En imaginant – par exemple – de vider ces lieux de tous les éléments qui définissent leur fonction, on remarquera tout de suite des ressemblances chromatiques, du gris du sol au blanc des murs et des néons.

Inside, plexiglas, film réflechissant, converse, dimensions variables, 2018

A mon avis, le fait que l’atelier et le cadre de l’exposition soient régis par les mêmes normes architecturales, représente un aspect à la fois positif et négatif. Aujourd’hui, j’observe les deux espaces comme des outils phénoménologiques. Des plateformes où se déplacer tout en faisant un pas de côté, pour prendre conscience et s’extirper de notre réalité, de l’expérience, de toute perspective déjà acquise. 

J’essaie donc de faire communiquer ces environnements à travers l’agrégation des éléments qui les caractérisent selon leur fonction et leur signification. Un parcours tracé du point A au point B, de la théorie à la production jusqu’à la consommation, comme un serpent qui se mordla queue. 

Etat des lieux, peinture sur toile, 40 x 250 cm, 2019

Quel a été ton ressenti face à l’effacement forcé des limites entre nos espaces en 2020. Comment cette condition a influencé ta pratique ? 

J’ai pleinement existé dans ma recherche. En effet, j’ai été obligé par la superposition de l’atelier à mon espace de vie à repérer des solutions, à m’adapter à toutes contraintes et à trouver une économie de moyens. 

Cette condition est devenue le terrain / la matière première de mon projet de diplôme. Un travail en totale autarcie dans un véritable écosystème. 

Parallèlement à l’espace et à l’objet, le temps est une composante importante dans ta démarche. Une variable mouvante selon des facteurs subjectifs (perceptions, états d’âmes) et objectifs (lumière, saisons, température).

La répétition est – pour toi – un outil de définition entre le “temps de l’individu” et le “temps de l’artiste” ? Comment la variable temps s’intègre dans ton œuvre ? Quelle est ta relation avec les différents temps qui rythment ton travail en tant qu’artiste (conception, production, accrochage, exposition) ?

Dans ma pratique, j’aime le concept « d’arrêt du temps ».  Ce temps qui a un flux discontinu est important pour moi en terme de cadrage. La pièce se trouvant être  – parfois –  comme un arrêt sur image d’une chose qui peut avoir l’air d’un rien mais qui se trouve – justement – être décisive. 

Le temps est une courbe sinusoïdale, une entité qui s’étire et se comprime en suivant le flux de la création en se balançant entre théories, expérimentations et accomplissements. Un flux qui implique aussi énormément de fantasmes, de digressions, d’imagination et de réalisations. 

Mon travail est en lui même cyclique, un agencement de boucles – pour leur nature – similaires et pourtant distinctes les unes des autres. Je ne considère pas la répétition comme une reproduction figée mais plutôt une superposition de possibles. En donnant corps aux possibles on peut capter leur tangible, le repère auquel s’accrocher, l’indice. 

Ce concept de parcours, de scénario, est exposé dans mon projet de diplôme Sens Dessus Dessous présenté aux Beaux-Arts de Paris en octobre 2020. Un travail qui mélange des éléments lisibles dans leur individualité et dans leur agrégation tout en en ayant la possibilité de les habiter ou de se placer dans leur cadre. 

De gauche à droite :
Retour d’équerre, règle de découpe, casquette détournée graphisme horizon, approximativement 150 x 20 cm // Work in progress, boîte à dremel, tongues, chaussettes, plâtre peint, dimensions variables // Surface/canvas – Seconde peau 1/2, impressions contrecollées, dibond, aluminium, 160 x 100 x 2 cm – 2020

Photographie, sculpture, installation. Quelles sont les différentes étapes dans ta recherche, de la conception à la réalisation de l’ « œuvre » qui l’exprime ? 

Mon approche peut varier. Parfois, j’ai des intuitions très claires et à d’autres moments, le processus demande beaucoup plus de recherche et d’expériences. 

Je pars d’une idée, d’un morceau théorique que je développe jusqu’à maturation. Il s’agit par la suite d’allers-retours entre théorie et matière, concepts et formes pour trouver la matérialisation la plus affine à mon idée d’origine et à ce que je veux exprimer. 

D’un bout à l’autre, diptyque, impressions contrecollées, dibond, aluminium, cartouches d’encre, 160 x 200 cm, 2020

Les corpus d’œuvre Studio Visit et Sens Dessus Dessous sont caractérisés par: la décomposition des plans du réel, leur recomposition sur une surface bidimensionnelle (la surface de l’œuvre) ; la mise en question de l’œuvre – objet, du cadre sans contenu au contenu sans cadre. 

Parle-nous de cette pièce et de son importance dans l’évolution de ta pratique. 

En 2020, après le premier confinement et dans la définition de mon projet de diplôme, j’avais maturé la conviction que, pour aller jusqu’au bout de ma recherche, il fallait parasiter sur le plan mental et physique, l’espace de l’atelier dans mon espace personnel. 

J’ai donc métamorphosé mon « chez moi ». Les meubles mis de côté, décomposés ou bâchés ainsi que les murs du sol au plafond, enfin tout avait été peint en blanc pour essayer de reproduite le white cube dont on parlait : l’espace de l’atelier, l’espace de la création. De ce fait, l’atelier me suivait constamment, en n’ayant pas la possibilité de le quitter pour retrouver une dimension personnelle. 

Parallèlement, j’ai analysé le sens, l’origine et l’évolution du geste dans l’espace-cadré de l’atelier à traversune série de questions directes. Je me suis alors demandé :

Qu’est-ce que je suis en train de faire et pourquoi ? Parmi tous mes « gestes », lequel est vraiment intéressant, et qu’est-ce qui fait que certains font sens plus que d’autres ?

Le geste que j’accomplis, celui derrière moi ou bien celui que je viens d’achever il y a cinq minutes que je n’ai pas vraiment considéré ? 

Studio Visit, impressions contrecollées, dibond, aluminium, 160 x 100 x 2 cm, 2020
Sens Dessus Dessous, impressions contrecollées, dibond, aluminium, 160 x 100 x 2 cm, 2020

Les collages photographiques Studio Visit et Sens Dessus Dessous, posent ces mêmes questions. L’espace fragmenté est ici recomposé tandis que les instants se superposent. L’œuvre solidarise des moments de tout et de rien en révélant seulement l’aspect digne d’attention. Elle énonce ses multiples degrés d’intentionnalité, la volonté de communiquer un certain message avec différentes intensités.

Dans ce projet, j’ai suivi les traces et les repères, du champ ou du hors champ, afin d’explorer les perspectives, les temps, les actions coexistantdans un espace. Je voulais comprendre comment les choses s’imbriquent les uns dans les autresentre l’outil et l’objet, le sujet et tout simplement la question du faire. 

En utilisant la même technique, mon propos était de moduler une pratique parcourant le spectre de l’abstraction à la figuration, passant de gestes picturaux au geste documentaire.

Surface/canvas – My Ground, quadriptyque, impressions contrecollées, dibond, aluminium, ensemble 100 x 160 x 2 cm, 2020

Quels autres éléments de l’écosystème artiste souhaites-tu encore explorer ? 

Mon parcours est une évolution continue selon les contextes et les opportunités. 

Je peux travailler sur des projets ponctuels et réaliser des œuvres in situ tout en poursuivant mes expériences à l’atelier autour d’une pratique centrée sur elle-même. La nature de ma démarche m’attire et m’étire dans la conviction qu’il y aura toujours un point de vue inexploré à découvrir, une question sans réponse, une idée à décomposer et recomposer. 

QUESTIONS AFFINES 

Quelles sont tes principales références ? 

Dans ma pratique, je suis interpellé par l’analyse du langage, sujet traité – entre autres – par le philosophe Ludwig Wittgenstein. Je me demande comment le langage définit notre environnement et combien d’interprétations contiennent une phrase, une expression et la manière dont ces théories sont impliquées dans le champ artistique. 

Mes références se trouvent aussi dans la littérature de l’absurde, la philosophie existentialiste et la phénoménologie. Dans l’art, de manière générale, je suis influencé par le travail de Bruce Nauman, Jagna Ciuchta, Sarah Sze ainsi que celui de Katharina Grosse, Steven Parrino, Seth Price ou bien Joe Goode. 

Quelle est ta « matière » de prédilection ? Quel médium aimerais-tu expérimenter, transformer, retravailler ? 

Parfois, il existe un écart entre ce que tu aimerais faire ou expérimenter et ce que l’œuvre demande pour être réalisée. Concernant la technique, j’aime le moulage et la photographie. Les deux pratiques présument une opération de transfert du positif au négatif. 

Pour rentrer dans le sujet de l’exposition Spatial affinit·ies (30/01-13/02/2021, Galerie marie-robin Paris), parlons d’espace « intime » et detoutes ses nuances: physiques (étages, pièces, objets) temporelles (lumière, sons) et sensibles (odeurs, températures). Analysons cet espace du point de vue de l’être – artiste. 

La salle de bain, l’endroit où tu te regardes entièrement, sans apparats.

Quel moment de la journée te représente le plus ? 

Je préfère le matin, c’est le moment des projections sur la journée qui s’ouvre. Nos programmes, nos plannings, nos rendez-vous nous attendent et pourtant, il est impossible de savoir exactement à quoi on aboutira, quel sera notre bilan. 

Dans quel objet aimerais-tu projeter / transmettre ton image ?

Je pense à une chaise, objet qui fait déjà partie de mes recherches.
Chaise qui peut représenter des moments d’introspection nous menant loin. Un instant à l’arrêt offrant la possibilité de réfléchir, divaguer, et essayer de saisir l’essence des choses.

Carré dans sa chaise, plâtre, silicone de peau, chaise, sol de l’atelier, 400 x 400 cm,2020
Install, impressions numérique, dibond, aluminium, 40 x 120 x 1 cm, 2020